Traveller’s Joy -- Clématite ect.

Vidéo
5min

Français, Chinois


Cette vidéo est une écriture demi-fictive et un essai cinématographique basé sur l'histoire de la diffusion eur-asiatique de la clématite.

Capture d'écran vidéo


Dans la vidéo, j'ai inséré quelques photos des plantes, elles ont été prises par moi aux frontières de la province chinoise du Yunnan avec le Vietnam et le Myanmar, à Java en Indonésie, ainsi qu'à Marseille et dans les Alpes en France.









En cherchant à collecter des informations sur la clématite, j'ai découvert qu'il existait deux hypothèses sur l'histoire de son arrivée en Europe.



Selon la première, la clématite est arrivée d'Asie en Europe de l'Est, puis en Europe de l'Ouest au XVIe siècle. La première description de la clématite en Europe occidentale figure dans un livre de l'Anglais William Turner, qui l'a appelée « Traveller's Joy » (joie du voyageur) et dont la source est un livre japonais intitulé « Hanatan Zangen ».



Le nom de joie du voyageur est très éloigné de son nom d'origine, Tie xian lian (Le lotus comme les lignes métalliques). Le nom original de cette plante, qui signifie Exotisme, a été abandonné au cours de sa diffusion et les Européens lui ont donné un tout nouveau nom commun, dont le nom était associé aux longs voyages entre l'Asie et l'Europe.



Planisfério (MM.05518)
portuguese maritime museum



Deuxièmement, la clématite a été collectée par des missionnaires (qui étaient aussi des biologistes) en poste en Asie au XIXe siècle (par exemple, Jean-Marie Delavay, Armand David) et ramenée en Europe occidentale par la route de l'Extrême-Orient, avec d'autres spécimens de plantes ou d'animaux, qui ont été cultivés par des jardiniers pour obtenir de nouvelles variétés. L'étude biologique des plantes/animaux et la collecte de spécimens qui ont eu lieu en Asie durant cette période est une activité dépendante du processus de colonisation qui a progressé en même temps que l'anthropologie, et je pense qu'il s'agit d'une histoire très complexe et intéressante.



Dans un pays de langues et de cultures étranges, où l'on essaie de comprendre un monde complètement étranger dans une langue étrangère à moitié comprise, et surtout des systèmes biologiques différents, je crois qu'il y a dans cette nomenclature une sorte de malentendu ou, dans le cas de la Système de Linné (Classification classique), une ambition de tout définir.

La taxonomie tente de décrire un « typique », les plantes et les animaux sont décrits en fonction de leurs caractéristiques typiques, tout comme les personnes, qui sont classées en fonction de leur visage, de leur langue et de leur culture, et l'ethnographie du XIXe siècle a même tenté de créer une taxonomie des personnes.

Je pense que le langage est pâle face au réel, tout comme j'ai du mal à définir ce que je vois dans le Muséum d'histoire naturelle, non seulement parce que le français est pour moi une deuxième langue étrangère, mais aussi parce que je pense que le langage humain a du mal à décrire les mille et un êtres étranges du monde, qui ne pouvent pas vraiment d'être rangés sous le parapluie du langage de l'humanité.





 Texte de la vidéo


En saison sèche, les chevaux atteignent Shuifu après 38 jours de marche.
Ensuite, mes spécimens, mes photos et mes notes descendront le fleuve Jinsha, rencontreront la rivière Min au port d'Yichang, puis longeront du Yangtsé.

Avant que le bruit de la fleuve ne parvienne, le brouillard épais des gorges des montagnes de Wumeng, mêlé à la chaleur humide des chevaux, s'infiltre à travers les interstices de la caisse, comme la couleur du thé qui infuse dans l'eau.


Je suis resté trop longtemps à Cangshan. Ce matin, le brouillard est arrivé par la gauche de la cour, et tout le monde a disparu. Je marche sur le sentier, le cortège funèbre portant un cercueil passe de l'autre côté. À travers leur musique, un rayon de lumière s’échappe, mince comme un fil, entre les nuages et l'ombre des montagnes.


Je me sens de retour au Mont Revard, que j’ai regardé tant de fois par la fenêtre dans mon enfance. Il est toujours ainsi. Dans ce monde qui ne semble pas réel, cette montagne est peut-être la seule chose qui me rappelle que je suis encore vivant. Le destin m'a ramené ici, mais je ne comprends toujours pas ce qu'est vraiment le destin. Peut-être que mon destin est déjà inscrit dans une estampe japonaise enveloppant un vase.


Le destin. Mon destin est de mastiquer le vôtre dans cette nuit tremblante.


Soudain, je sens mon corps devenir plus léger : la caisse est soulevée, et une odeur saumâtre m’enveloppe. L’eau, chargée de l’antique grondement venu des monts Dangla, résonnera désormais sans fin en moi. La phrase que je m'apprêtais à avaler était :


"Monsieur Franchet, durant ce long voyage, j'ai appris un peu d’anglais, et j'ai découvert ce que signifie 'traveler's Joy'. C'est à Mossé, une ville située à 75 kilomètres de Ta-tsien-lu, qu'un Anglais nommé Antwerp Edgar m'a raconté cette histoire. 

Ici, si loin de Paris, leur premier voyage a emprunté l’ancienne route de Vasco de Gama, et elles sont retournées en Europe avec les Lusiades. Notre-Dame du Bon Voyage a doucement porté leur bateau. En mer, l’homme est plus insignifiant que la fourmi, d'autant plus des livres abîmés et des graines. Saint François Xavier est resté à l’île de Sancian, et l’année de la Souris d’Eau, ceux qui parlaient la langue de l’eau ont oublié leurs promesses. Peut-être que pour moi, c’est encore plus vrai. Je n’ai fait de promesse qu’à notre Père céleste, et lui ne tient jamais ses promesses sur Terre. 

Avec cette photo, je vous confie aussi des graines de 'traveler's Joy'. Le reste de l’information est dans la boîte des Renonculacées. Si l'occasion se présente, veuillez en planter quelques-unes sur la terre du 128, rue du Bac."


Au verso de ce texte, je vois des hommes devant un col de montagne, sept d'entre eux ont les jambes nues jusqu'aux mollets, leurs dos courbés sous le poids de lourdes charges. Le seul qui porte des chaussures, je suppose, est celui à qui tout appartient ici.


Je ne comprends pas ce qu'est la joie du voyageur, en fait, je ne comprends pas non plus ce que sont ces couches de plantes desséchées et de graines dans cette caisse. Elles sont classées dans différentes boîtes, avec des noms tout neufs, tout beaux. Peut-être étaient-elles sources de joie lorsqu’elles vivaient dans la montagne. Mais maintenant, elles dégagent, par les ouvertures des boîtes, une odeur de mort, tout comme cette photo.


Je suis une créature qui dévore des choses mortes. Mon monde est fait des mots que j’ai mangés. Tout ce que l’humanité a laissé sur le papier constitue pour moi un rêve dans une nuit interminablement tremblante. Ces mots peuvent être mâchés, avalés, et transformés en ma chair, mais ils ne restent pas dans mon esprit. Tout flotte dans le chaos, et plus aucun nom n’aura de sens, sans parler des erreurs et des jeux de langage.


Je continue à tenir compagnie aux noms dans cette nuit, jusqu'à ce qu'à Marseille, les porteurs, par maladresse, laissent tomber et brisent ma caisse.