Tu ne veux pas savoir où tu allais:

Une Brève Histoire du Messianisme Hmong et du Mouvement de Résistance Culturelle



vidéo
12min34s

Espéranto, Hmong(RPA et Pahawh), Français, Espagnol, Chinois


En basant sur l'histoire du messianisme hmong et des mouvements de résistance culturelle, j'ai écrit un texte et une vidéo qui s'articule autour de questions pour raconter une histoire sisyphéenne :


- Pourquoi chaque prophète messianique Hmong est-il associé à des textes apocalyptiques ?

- Que signifie la langue pour l'appartenance culturelle et territoriale ?

- L'histoire est-elle fondamentalement une façon d'imaginer le monde en fragments, et langue la fixe dans une conscience collective avec une fausse légitimité ?

- Pourquoi, dans une société multilingue ou autre-lingue, ai-je souvent l'impression que la langue est une arme, et que le fait de ne pas pouvoir parler dans ma langue maternelle (dans laquelle je suis tout à fait moi-même) est comme une violence persistante et non résolue ?

Dans cette vidéo, j'ai choisi les stéréoscopes pour corroborer mes soupçons, car le stéréoscope confirme et en même temps interroge son authenticité et son objectivité en tant qu'archive historique d'une manière paradoxale.









Le point de départ de ce travail a été la photo de mes arrières grands-parents dans la maison principale ancienne de mon père, et j'ai voulu savoir pourquoi ils portaient le foulard, et sur place je n'ai pas eu la réponse.


Plus tard, j'ai interrogé mon père à nouveau et il m'a dit que les ancêtres de ma famille étaient des peuples Dongs qui avaient déménagé de Jingzhou dans la province du Hunan(湖南靖州) à Shichan à Tongren, dans la province du Guizhou(贵州铜仁石仟), et ensuite à Yuqing à Zunyi(遵义余庆), mais je ne sais pas quand ils ont commencé à parler mandarin du sud-ouest et à utiliser le nom de famille chinois.


La photo de mes arrières grands-parents





Catalogue des références créatives et notes de lecture:


  • En commençant par  Zomia ou l'Art de ne pas être gouverné, James C. Scott

 - Cultures orales
 - Théologies des marginaux
-Shimenkan (石门坎)



  • Le messianisme Hmong aux XIXe et XXe siècles: La dynamique religieuse comme instrument politique, Christian Culas

- Le commerce des chevaux Hui et la contrebande d'opium 
- Construction de l’écriture et mouvements de résistance culturelle 
- Croyances chimérique (messies, ancêtres, fantômes et chemins de l'âme)



  • The New Way : Protestantism and the Hmong in Vietnam, Tâm T. T. Ngô


- Radio Sans Frontières -- comme moyen de propagande missionnaire/politique 
- litanies audiovisuelles 
- cinéma de guérilla clandestin et piraté Chao Fa



  • En commençant par  Dust: The Archive and Culture History,Carolyn Steedman

 - Mal d'archive/ Archive fever
- Écrire l'histoire : l'espace potentiel ludique 
- Témoignage de torture : l'histoire regardée de l'Asie 
- Exploitation culturelle de l'art et de la recherche (par la création d'une fausse légitimité pour la documentation)


 
  • En commençant par  L’art de ne pas être lisible: Les écritures inventées comme outils de résistance en Asie du Sud-Est,   Piers Kelly

- Le mouvement de l'écriture apocalyptique
- Pa Chay VUE et Nkauj Mimy et la révolution du fou
- Shong Lue YANG et Pahawh Hmong



Pour le lire (une vision entiere en chinois), cliquez ici:
https://mp.weixin.qq.com/s/j7xwq6ciTrQxlkcJvBXrHQ


 

 






Texte de la vidéo
Le texte contient un mélange de vérité et de fiction. Afin de ne pas nuire à la lecture, une liste de citations n'est pas incluse ici. La plupart d'entre elles sont déjà étiquetées dans le Catalogue des références ci-dessus.



Diffusion en hmong par FEBC :Nous sommes le matin du 13 décembre 2024. En Thaïlande, le présentateur Phairot de la Far East Broadcasting Company commence sa diffusion du jour.

Entre 1971 et 1974, le premier studio d’enregistrement hmong de la FEBC a été établi dans Laos Bible Training Center en périphérie de Vientiane. John LEE, le premier animateur hmong, y a étudié. En 1958, au village de Ban Phu Sang Noy, comme les personnes sur la photo, en tant que the Unreached, il imaginait un autre monde grâce à la radio à ondes courtes. Dans les années 1980, Ceem, qui a déménagé de Cha Pa à Lao Cai, au Vietnam, pour défricher la terre à Than Uyênk, a entendu le sermon de John LEE à la radio. Il disait que notre Père céleste (Vang Tsu) reviendrait un jour sur terre pour les aider.


60 ans plus tard, un jeune shaman (txiv neeb) écrit :
《 Les 22 premières années de ma vie ont disparu ainsi, comme en un clin d’œil. Cette nuit-là, j’ai fait un rêve. J’étais dans un ancien village hmong au Laos. Je me tenais devant la porte d’une maison hmong et voyais une file d’Hmongs d’un kilomètre de long, vêtus de leurs anciens habits traditionnels, s’avancer directement vers moi. Je pouvais voir cette ligne s’étendre jusqu’aux montagnes. Un homme hmong à la tête de la file s’approcha de moi et dit :
<Mon fils, prépare-toi. Nous rentrons à la maison.> 》


La famille ?
J’ai essayé de comprendre ce concept après avoir la perdu. Est-ce une terre où l’on s’installe ? Est-ce l’endroit où se trouve sa famille ? Ou bien les racines de la langue de tes ancêtres ? Ou encore un lieu où tu peux exprimer pleinement ta fierté dans ta propre langue ?


De Merced à Honolulu, jusqu’au camp de réfugiés de ban binal dans les montagnes du nord de la Thaïlande, puis à Xiangkhouang, et enfin à la maison dans les montagnes, le retour de l’âme vers le foyer emprunte à rebours le chemin de l’aller. Mais ici, il n’y a ni postes de contrôle, ni passeports, ni titre de voyage, ni formulaires d’enregistrement, ni tampons sur une page de visa. Personne ne te demande en anglais, en français ou en lao : "Où vas-tu ?"
Je ne peux pas décrire en leur langue l’endroit où je vais finalement.
Personne n’imaginerait localiser précisément sur une carte nationale un village des montagnes du Triangle d’or. Cela a-t-il un sens ? Je dois attendre un cheval, tenir un bol d’eau dans mes mains, et une fois arrivé entre le ciel et la terre, mettre un peu d’eau dans ma bouche, siffler dans les quatre directions de la terre, et attendre l’écho parmi les montagnes. Le son des montagnes me dira où aller. 
Après s'être réveillé de ce rêve, VUE Pa Chay rentre chez lui avec son livre céleste.


En 1918, il a hissé le drapeau blanc du Roi céleste de la guerre du Fou sur la rivière noire (Sông Đà), et chaque soldat portait ce livre céleste - leur histoire et leurs lois - comme un talisman pour la guerre. Dans la vallée Muong-Hoa de Cha Pa de Lao Cai , où les minorités se mélangent, certains membres de la garnison française ont déclaré en 1906 qu'ils devaient construire des sanatoriums et qu'ils pouvaient mourir sur la terre ferme en arborant le drapeau tricolore au lieu de marquer la rivière Saigon et la mer Rouge de leurs propres cadavres.

En 1920, la vallée apparaît dans une série de photographies intitulée La révolte des Méos rendue publique par la BNF dans ce qui pourrait être une négociation organisée sous la direction du Père Savina.« Un sorcier des environs de Chapa et que je connais parfaitement, venait d’être nommé vice-roi de tous les Méos du Tonkin, par le Roi des Méos révoltés du Yunnan. Ce sorcier prêchait ouvertement la révolte, on venait le voir de tous côtés, et ses émissaires parcouraient la région pour soulever la population en sa faveur. »。

Le tissu soit brodé de mots et de terres perdues dans la légende, mais le miracle de Nkauj Mimy d'utiliser son tablier (sev) pour repousser les balles des soldats n'a finalement pas réussi à arrêter les balles qui s'obstinaient à être tirées sur elle.


1921, l'année où le drapeau blanc a été abattu,une caravane de commerçants musulmans de Hui sur la route du thé puerh transporta un Français. Le tarif était une pièce d’argent. Le trajet allait de Ning’er, Simao et Yiwu, en Chine, jusqu’à Phongsaly au Laos, puis à Diên Biên Phu, Lai Châu et Hanoi au Vietnam, avant de prendre la mer au port de Haiphong. Le Français quitta la caravane à Diên Biên Phu, descendit la rivière Nam Ou en direction du nord, passa par Luang Prabang jusqu’à Phonsavan, le centre de Xiangkhouang. Là-bas, il fut témoin de têtes tombant, jetées de haut dans la poussière, sous un tonnerre rugissant. Les cris autour de lui semblaient si lointains, comme venant d’un autre monde. Il murmura en français : l’inutilité. Un garçon portant un foulard et tenant une plaque de cuivre à moitié gravée le regarda timidement avant de s’enfuir.


Trente-cinq ans plus tard, comme l’avait prédit ce roi fou, l’autre moitié des lettres sur la plaque apparut. Une autre personne, YANG Shong Lue dans un rêve, reçut son drapeau ainsi qu’un alphabet Pahawh. Lors de sa cérémonie de couronnement, trois rois de l’Orient étaient présents : une fourmi, un oiseau pulika, et un rat. Dans un nuage d’opium acheté avec les derniers biens d’une famille pauvre, il comprit soudain toutes les connaissance de l’univers, du début à la fin.


Pour les habitants des montagnes, la Guerre froide était une guerre chaude où ils devaient mourir pour des mots étrangers et lointains. Il y a même encore des guérilleros du Chao Fa qui attendent dans la jungle le jour où ils ne seront plus en fuite, même si toutes les raisons pour lesquelles ils se sont battus appartiennent au passé, et même si les gens pour lesquels ils se sont battus les considèrent comme une histoire lointaine.Pendant dix ans de cours et de cachettes, ils retournèrent avec un déserteur français sur la rivière Nam Ou. Sur trois Pirogues monoxyles, VANG Chia Kaua raconta le chemin emprunté par leurs ancêtres. Il avait disparu. Lors de l’adieu à Chia Kaua, en partance pour un camp militaire, YANG Shong Lue dit :
《Notre peuple sera divisé. Chaque fois que l’eau des rivières remontera à contre-courant, la guerre sera sans fin. Ceux qui veulent tirer devront continuer jusqu’à pleurer. Ceux qui ne veulent pas tirer devront au moins tirer trois fois pour se protéger.》


Le drapeau blanc perdu revint finalement entre les mains de Shong Lue :
《 Je n’ai rien, sauf mes os et votre drapeau.》
Mais si un homme est craintif, un drapeau blanc sans mots suffit à le terrifier. Les geôliers de la CIA refusèrent ce drapeau et s’en servirent comme cible pour s’entraîner au tir, jusqu’à le déchirer en morceaux.

Personne ne croyait qu’un analphabète venu des bois pouvait devenir roi. Entre deux idéologies opposées, la langue compense sa déterritorialisation par une reterritorialisation dans le sens. Si ta langue n’est pas reconnue comme une langue, si tes ancêtres n’ont jamais eu l’occasion de te léguer un système d’écriture, où irais-tu ?


L’histoire des montagnards est ainsi, plus orientale que l’orientalisme :
En tant que sujets photographiés lors d’expéditions, objets des anthropométries, rapports sur les évangélisations, documents journalistiques... et ma Stéréoscopie, un outil de vision permettant de rendre l’écriture unilatérale plus vraie. Tout le monde essayait de construire une vérité sur ce qu’il voyait.
Photographier, c’est comme tirer un coup de feu. Collectionner des photos est semblable à collectionner des spécimens.


Le derniére vers de Neruda est:

Encore un baiser, ma chérie.
Nettoie ce fusil, camarade.


Sur un forum catholique hmong, Maiv Tooj tente de retracer l’histoire de sa famille à travers de vieilles photographies prises par des étrangers. Elle me rappelle mes grands-parents, qui prenaient toujours une posture solennelle avant d’être photographiés :


Autrefois, que ce soit les Hmongs de Xeev Kham ou ceux de Mab Teb, ils portaient tous les mêmes vêtements courts. Plus tard, Lis Txhiaj Foom et le père de Phas Nyas Tub Npis, partis faire du commerce au Vietnam, rapportèrent des tissus vietnamiens.


Sur la droite, c’est Mim Lis, l’une des premières jeunes femmes hmong à s’établir à Vees Cam (Vietnam). La jupe qu’elle porte a été entièrement confectionnée par sa mère. Sa mère avait semé, récolté et traité le chanvre, puis filé et teint les fibres avant de les tisser. Les tissus étaient ensuite remis à Pog Tub (une artisane) pour être travaillés : teinture à l’indigo, application de cire pour le batik, lavage à l’eau chaude pour ôter la cire, suivis de plusieurs étapes de rinçage et de séchage. Ce n’est qu’après un long processus que la jupe était enfin prête à être portée.


Je ne sais pas si cela peut être considéré comme une forme de résistance personnelle.


Le père Yves Bertrais a dit : 《 Votre langue vous appartient. Personne ne peut vous la retirer, sauf vous-même. 》


En 1950, il s’est réveillé dans la maison de Ya Ja No à Kiu Katiam, son vélo renversé devant l’enclos des cochons. Un an plus tard, ses amis, en sacrifiant un cochon, lui donnèrent un nom hmong : Nyiaj Pov.


Vingt-cinq ans plus tard, ses manuscrits furent clandestinement transportés à travers le Mékong pour fuir le Laos. Dans un camp de réfugiés en Thaïlande, il réalisa pour la première fois que le mouvement de latinisation de la langue hmong auquel il avait contribué allait relier des Hmongs dispersés dans le monde entier, car ils ne pouvaient plus se saluer en personne dans leur langue orale.
Plus tard, en Guyane française,il renonce à écrire sur les Hmong en français : il ne doit plus fixer leur figure dans une langue lointaine.

Par l'intermédiaire de Radio Veritas Asia, également basée à Manille, et sous la forme d'enregistrements quotidiens de trente minutes.
Au crépuscule de sa vie, Yves Bertrais revient sur les terres où il a travaillé, et l'homme qui s'est battu toute sa vie pour l'écrit confirme l'existence de l'esprit en detextualisant, sans passé, sans futur, terre d'origine existe dans l'histoire du texte, et céleste patrie existe dans le hic et nunc de l'écouté.


C’est le dernier droits :

Tous sont fiers d’avoir maintenant une écriture. Savoir lire et écrire donne un sentiment de dignité aux minorités qui sont méprisées par les majorités au pouvoir. On parle partout des droits de l’homme. Ce droit à s’instruire dans sa propre langue leur est en fait refusé partout.

Y. Bertrais, « Un missionnaire chez les Hmong depuis 48 ans », art. cit.